lunes, 9 de octubre de 2023

Le silence selon Proust

On a dit que le silence était une force; dans un tout autre sens il en est une terrible à la disposition de ceux qui sont aimés. Elle accroît l'anxiété de qui attend. Rien n'invite tant à s'approcher d'un être que ce qui en sépare et quelle plus infranchissable barrière que le silence? On a dit aussi que le silence était un supplice, et capable de rendre fou celui qui y était astreint dans les prisons. Mais quel supplice — plus grand que de garder le silence — de l'endurer de ce qu'on aime! Robert se disait: "Que fait-elle donc pour qu'elle se taise ainsi? Sans doute, elle me trompe avec d'autres?" Il se disait encore: "Qu'ai-je donc fait pour qu'elle se taise ainsi? Elle me hait peut-être, et pour toujours." Et il s'accusait. Ainsi le silence le rendait fou, en effet, par la jalousie et par le remords. D'ailleurs, plus cruel que celui des prisons, ce silence-là est prison lui-même. Une clôture immatérielle, sans doute, mais impénétrable, cette tranche interposée d'atmosphère vide, mais que les rayons visuels de l'abandonné ne peuvent traverser. Est-il un plus terrible éclairage que le silence qui ne nous montre pas une absente, mais mille, et chacune se livrant à quelque autre trahison? Parfois, dans une brusque détente, ce silence, Robert croyait qu'il allait cesser à l'instant, que la lettre attendue allait venir. Il la voyait, elle arrivait, il épiait chaque bruit, il était déjà désaltéré, il murmurait: "La lettre! La lettre!" Après avoir entrevu ainsi une oasis imaginaire de tendresse, il se retrouvait piétinant dans le désert réel du silence sans fin.

Il souffrait d'avance, sans en oublier une, toutes les douleurs d'une rupture qu'à d'autres moments il croyait pouvoir éviter, comme les gens qui règlent toutes leurs affaires en vue d'une expatriation qui ne s'effectuera pas, et dont la pensée, qui ne sait plus ou elle devra se situer le lendemain, s'agite momentanément, détachée d'eux, pareille à ce cœur qu'on arrache à un malade et qui continue à battre, séparé du reste du corps. En tout cas, cette espérance que sa maîtresse reviendrait lui donnait le courage de persévérer dans la rupture, comme la croyance qu'on pourra revenir vivant du combat aide à affronter la mort. Et comme l'habitude est, de toutes les plantes humaines, celle qui a le moins besoin de sol nourricier pour vivre et qui apparaît la première sur le roc en apparence le plus désolé, peut -être en pratiquant d'abourd la rupture par feinte, aurait-il fini par s'y accoutumer sincèrement.

 

 (...)

 

(Le Côté de Guermantes I)

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