Discours de Tiphaine Samoyault:
"Bienvenue à toutes et à tous . C’est en temps qu’actuelle directrice du CRAL que je vais prononcer ces quelques mots d’ouverture de la demi-journée d’anniversaire des vingt ans du séminaire de narratologie au Centre de recherches sur les arts et le langage. 40 ans du CRAL, 20 ans du séminaire narratologie. Ce double anniversaire permet de faire le récit d’un labo de recherche en termes de génération.
La première, celle des fondateurs dont il n’est peut-être pas inutile de rappeler ici les sept noms (et non les sept nains), est étroitement à la narratologie : Raymond Bellour, Claude Bremond, Hubert Damisch, Gérard Genette, Louis Marin, Christian Metz et Tzvetan Todorov : toutes ces penseurs sauf un théorisent, formalisent et appliquent la narratologie. Pourtant, le terme n’apparaît pas dans le texte programmatique de création du centre de recherche et une rapide enquête dans les tentatives successives de définition des orientations du CRAL ne le fait pas plus apparaître… Comme si la discipline, en se développant, avait intériorisé un syndrome d’affirmation négative ou de négation affirmative dont l’un de ses éminents représentants, Tzvetan Todorov, a offert l’attitude exemplaire.
Le séminaire « narratologie » naît alors que celui qui a été crédité du terme a quitté le CRAL. Il n’y a jamais pris la parole et, pendant les premières années de vie du séminaire, fidèle à une politique polémique ancestrale, il s’apprête à mettre le feu à la terre qu’il a lui-même travaillée. En 2007, son livre "La littérature en péril" met en cause toute approche formelle des textes – débouchant selon lui sur le nihilisme – et il fustige un langage qui cultive « la construction ingénieuse, les procédés mécaniques d’engendrement du texte, les symétries, les échos, les clins d’oeil. » Mais cette politique de la terre brûlée n’a pas été la seule politique et à suivre les programmes du séminaire, on peut mesurer la force de renouvellement des narratologues de la deuxième génération, qui s’est vite nommée postclassique pour s’affranchir de ses pères, marquer une continuité tout en reléguant l’âge classique au rayon des antiquités.
Ce tournant est sensible dès les premières années du séminaire, avec l’ouverture aux sciences cognitives et à la narratologie naturelle afin d’élargir les modèles narratologiques classiques, puis à la narratologie transmédiale, qui a fait l’objet de très importants développements, et avec le dialogue avec d’autres disciplines (histoire, droit, sociologie, anthropologie…), faisant du séminaire un véritable laboratoire de la pensée des récits. Tous les grands noms de la narratologie figurent dans les programmes de ce qui s’est d’abord appelé « La narratologie aujourd’hui », puis en 2005 « Narratologies contemporaines », puis en 2009 « Recherches contemporaines en narratologie » puis de nouveau à partir de 2021 « Narratologies contemporaines »… le parcours de ces intitulés racontent lui aussi toute une histoire…
Ces grands noms, je ne vais pas les énumérer, vous les connaissez, beaucoup de celles et ceux qui les portent sont là aujourd’hui, en présence ou en ligne. Le séminaire a même invité régulièrement des non narratologues, marque d’hospitalité qui est le signe des belles communautés. Un nom assure la continuité de l’ensemble, et j’aimerais terminer cette intervention en lui rendant hommage, juste avant de lui donner la parole. C’est celui de John Pier, artisan et acteur du séminaire depuis vingt ans, présent du début jusqu’à présent sans interruption ; et sans lequel, sans désespérer la narratologie elle-même, on aurait pu voir disparaître le séminaire narratologie du CRAL.
En vingt ans, le rapport de notre monde au récit a profondément changé. Une mutation profonde a eu lieu avec la généralisation de la production de récits fabriqués artificiellement pour tromper. Il y a eu de ce fait une extension considérable du domaine de l’étude des récits, de la narratologie, dont le séminaire s’est fait non seulement la chambre d’échos mais surtout le laboratoire pour la pensée et la création de nouveaux outils pour les analyser, les contrer, les rétablir, les réinventer. C’est aussi ce qui promet, hélas et heureusement, une longue vie à la narratologie, qui a désormais à faire non plus seulement avec le vraisemblable, les mondes possibles et le caché, mais avec la post-vérité."
No hay comentarios:
Publicar un comentario
Se aceptan opiniones alternativas, e incluso coincidentes: