XVIII
Injuste Amour, fusil de toute rage,
Que peut un cœur soumis à ton pouvoir,
Quand il te plaît par les sens émouvoir
Notre raison qui préside au courage?
Je ne vois pré, fleur, antre ni rivage,
Champ, roc ni bois ni flots dedans le Loir,
Que peinte en eux, il ne me semble voir
Cette beauté qui me tient en servage.
Ores en forme ou d'un foudre allumé,
Ou d'un torrent, ou d'un tigre affamé,
Par fantaisie Amour de nuit les guide.
Mais quand ma main en songe les poursuit,
Le feu, la nef, et le torrent me fuit,
Et pour le vrai je ne prends que le vide.
XIX
Si mille œillets, si mille lis j'embrasse,
Entortillant mes bras tout à l'entour,
Plus fort qu'un cep, qui d'un amoureux tour
La branche aimée en mille plis enlace;
Si le souci ne jaunit plus ma face,
Si le plaisir fait en moi son séjour,
Si j'aime mieux les ombres que le jour,
Songe divin, ce bien vient de ta grâce.
Suivant ton vol je volerais aux cieux.
Mais son portrait qui me trompe les yeux,
Fraude toujours ma joie entre-rompue.
Puis tu me fuis au milieu de mon bien,
Comme un éclair qui se finit en rien,
Ou comme au vent s'évanouit la nue.
XX
Ange divin, qui mes plaies embâme,
Le truchement et le héraut des dieux,
De quelle porte es-tu coulé des cieux,
Pour soulager les peines de mon âme?
Toi, quand la nuit par le penser m'enflamme,
Ayant pitié de mon mal soucieux,
Ore en mes bras, ore devant mes yeux,
Tu fais nager l'idole de ma Dame.
Demeure, Songe, arrête encore un peu!
Trompeur, attens que je me sois repeu
Du vain portrait don’t l'appétit me ronge.
Rends-moi ce corps, qui me fait trépasser,
Sinon d'effet, souffre au moins que par songe
Toute une nuit je le puisse embrasser.
Pierre de Ronsard
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