(Albertine disparue, ch. II):
... Peut-être malgré tout, ces intuitions premières, valait-il mieux que je ne les rencontrasse à nouveau, vérifiées, que maintenant. Tandis que durait mon amour pour Albertine, elles m'eussent trop fait souffrir et il était mieux qu'il n'y eut subsisté d'elles qu'une trace, mon perpétuel soupçon de choses que je ne voyais pas et qui pourtant se passèrent continuellement si près de moi, et peut-être une autre trace encore, antérieure, plus vaste, qui était mon amour lui-même. N'était-ce pas en effet, malgré toutes les dénégations de ma raison, connaître dans toute sa hideur Albertine, que la choisir, l'aimer? et même dans les moments où la méfiance s'assoupit, l'amour n'en est-il pas la persistance et une transformation? n'est-il pas une preuve de clairvoyance (preuve inintelligible à l'amant lui-même) puisque le désir, allant toujours vers ce qui nous est le plus opposé, nous force d'aimer ce qui nous fera souffrir? Il entre certainement dans le charme d'un être, dans ses yeux, dans sa bouche, dans sa taille, les élèments inconnus de nous qui sont susceptibles de nous rendre le plus malheureux, si bien que nous sentir attiré vers cet être, commencer à l'aimer, c'est, si innocent que nous le prétendions, lire déjà, dans une version différente, toutes ses trahisons et ses fautes.
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