Il faut examiner ce qui se passe dans les milieux où la fièvre de la concurrence et les affres de l'avancement au mérite sévissent dans un contexte d'oisiveté relative, favorable à l'observation réciproque, les milieux d'affaires, certes, et plus encore les milieux intellectuels qui parlent toujours des autres, mais ne se regardent jamais eux-mêmes.
Dans ces milieux, la cyclothymie se nourrit de signes qui ne sont pas du tout illusoires et insignifiants même si leur interprétation peut susciter des divergences extraordinaires. Ceux dont l'avenir professionnel et la réputation dépendent de tels signes en sont inévitablamente obsédés. Il s'agit ici d'une obsession qu'on peut qualifier d'objective, ainsi que l'alternance thymique qui lui est associée. Il est difficile de ne pas se réjouir de ce qui attriste le rival, de ne pas s'attrister de ce qui le réjouit.
Tout ce qui me remonte démonte mes concurrents, tout ce qui les remonte me démonte. Dans une société où la place des individus n'est pas déterminée à l'avance et où les hierarchies sont effacées les hommes sont toujours occupés à se fabriquer un destin, à "s'imposer" aux autres, à "se distinguer" du troupeau, c'est-à-dire à "faire carrière".
(René Girard, Des choses cachées depuis la fondation du monde, 432)
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