Extrait du livre de Paul Jorion Défense et Illustration du Genre Humain, Fayard, 2018, 64-66:
Blumenbach était, dans l'esprit de son époque, 'lamarckien': il était convaincu que les caractères acquis se transmettent. Cette conception, longtemps éclipsée para le paradigme darwinien qui nie qu'une telle transmission soit possible, refait surface dans les travaux récents de biologie évolutionniste.
Blumenbach a eu des dizaines d'intuitions originales aujourd'hui oubliées. Parmi elles, une vision de l'homme comme une espèce "autodomestiquée" — qui s'est appliqué à elle-même les techniques de domestication. Il écrivit:
"L'homme est un animal domestique [...] C'est par lui que les autres animaux domestiques ont été conduits à cet état de perfection. Il est le seul qui se soit mené soit-même à la perfection" (Blumenbach 1865: 340)
À l'exception de l'éthologiste Konrad Lorenz (1903-1889), cette hypothèse intéressante est restée sans descendance; elle n'a pas été reprise, si ce n'est par moi-même il y a bien des années (Jorion 1980: 126). Il n'y est fait aucune référence dnas les notices biographiques de Blumenbach que l'on trouve aujourd'hui, pas plus en allemand que dans les autres langues. On peut néanmoins se demander s'il ne faudrait pas la ressusciter, et situer en particulier la question du transhumanisme contemporain dans le cadre qu'elle propose.
Imaginons en effet que les changements dans l'humain que nous constatons soient bien ceux qu'engendre un processus de domestication, et qu'il y ait bien eu dans l'histoire humaine un processus d'autodomestication. Celui-ci aurait pu demeurer inaperçu de tous — à lexception de Blumenbach — aussi longtemps que la domestication n'impliquait pas de techniques "invasives" (au sein de la machinerie interne de l'animal, comme le clonage de la brebis Dolly en 1996), mais la donne serait cependant modifiée aussitôt que l'amélioragion et la sélection, ingrédients constitutifs de la domestication, impliqueraient des technologies "internes" et que l'autodomestication de l'homme se calquerait sur les technologies de domestication avancées en général.
Des manipulations qui nous paraissent normales et anodines quand elles sont pratiquées sur des animaux que nous considérons comme des objets nous semblent tout de suite hautement problématiques quand il s'agit de nous-mêmes (qu'on pense tout spécialement à l'euthanasie et à l'eugenisme).
Les progrès techniques que nous faisons dans la domestication d'espèces animales sont donc susceptibles, une fois le public familiarisé avec eux et une fois levées les objections d'ordre éthique, d'être appliqués à nous-mêmes.
Un phénomène jusque-là invisible — si ce n'est aux yeux de Blumenbach — aurait acquis pleine visibilité, non pas en raison du caractère invasif et hautement technologique des techniques utilisées, puisqu'il nous étaient indifférents tant qu'il s'aggisait d'autres animaux que nous, mais en raison précisément du fait que nous les appliquons cette fois à nous-mêmes.
Autrement dit, le transhumanisme perd beaucoup de son mystère et de son aura si l'on y voit sans plus un discours justifiant l'autodomestication du genre humain à l'aide de toutes les techniques connues.
Lu de cette manière, le discours transhumaniste ne serait pas le discours militant accompagnant un projet, mais celui qui constate pour la première fois l'autodomestication humaine et, l'ayant constatée, l'entérine et, l'ayant entérinée, la justifie par une argumentation rationnelle.
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Et, ne serait-ce que pour complémenter cet aperçu sur l'autodomestication.... Est-on pleinement conscients de la mesure dans laquelle les codes éthiques, les lois, les religions, sont eux aussi un instrument d'autodomestication? L'affirmation chrétienne que nous sommes fils de Dieu, et l'éthique quasiment inapplicable du Christ peuvent alors se lire come un pari pour la transcendance de la réalité humaine vers une réalite transhumaine. Voilà un terrain commun, ou peut-être une no-man's land à explorer entre la spiritualité et l'eugénèse, la loi des hommes, la sélection artificielle de l'élevage... —et la loi de Dieu, avec le rêve d'une destinée qui n'est plus de ce monde naturel, une trans-humanité au-delà de la mort. L'homme est en ce sens, soit-il dans une mesure bien faible, l'agent de sa propre création et de son propre dessein intelligent.
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