jueves, 3 de octubre de 2024

La chair et la lettre, nos traits, nos caractères, la pensée, la personne, l'algèbre, les traductions

Un passage du premier chapitre d' Albertine Disparue, de Proust. Après sa disparition, Albertine écrit à Marcel, mais celui-ci n'en est pas plus satisfait...


Cependant, je relisais sa lettre et j'étais tout de même déçu du peu qu'il y a d'une personne dans une lettre. Sans doute les caractères tracés expriment notre pensée, ce que font aussi nos traits; c'est toujours en présence d'une pensée que nous nous trouvons. Mais tout de même, dans la personne, la pensée ne nous apparaît qu'après s'être diffusée dans cette corolle du visage épanouie comme un  nymphéa. Cela la modifie tout de même beaucoup. Et c'est peut-être une des causes de nos perpétuelles déceptions en amour que ces perpétuelles déviations qui font qu'à l'attente de l'être idéal que nous aimons, chaque rendez-vous nous apporte une personne de chair qui tient déjà si peu de notre rêve. Et puis quand nous réclamons quelque chose de cette personne, nous recevons d'elle une lettre où même de la personne il reste très peu, comme dans les lettres de l'algèbre il ne reste plus la détermination des chiffres de l'arithmétique, lesquels déjà ne contiennent plus les qualités des fruits ou des fleurs additionnés. Et pourtant, amour, être aimé, ses lettres, c'est peut-être tout de même des traductions — si insatisfaisant qu'il soit de passer de l'un à l'autre — de la même réalité, puisque la lettre ne nous semble insuffisante qu'en la lisant, mais que nous suons mort et passion tant qu'elle n'arrive pas, et qu'elle suffit à calmer notre angoisse, sinon à remplir avec ses petits signes noirs notre désir qui sent qu'il n'y a là tout de même que l'équivalence d'une parole, d'un sourire, d'un baiser, non ces choses mêmes.

 

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