"La
liberté d'expression et les discours de haine." Audio lecture. Savoirs ENS 13 Oct. 2014.*
Conférence donnée par Charles Girard dans le cadre des Lundis de la philosophie.
"Les "discours de haine" devraient-ils être punis par le droit ? Les propos racistes, homophobes ou encore sexistes fréquemment regroupés sous ce terme créent un dilemme redoutable pour les régimes qui sont attachés à la fois au droit individuel à la libre expression et à l’égalité de statut des citoyens. Les tenants de la position permissive affirment que les protections juridiques associées à la liberté d’expression doivent être étendues à ces discours, car ce principe ne saurait tolérer aucune exception en démocratie. Mais ils doivent alors expliquer ce qui sépare ces discours de nombreux autres qui se trouvent punis par le droit, tels les injures ou les propos diffamatoires. Les tenants de la position prohibitionniste affirment quant à eux que l’État ne saurait réellement prétendre accorder une protection égale à tous les citoyens s’il laisse prospérer dans la sphère publique des discours incitant à l’hostilité ou à la discrimination envers certains d’entre eux en raison de l’identité raciale, sexuelle ou religieuse qui leur est assignée. Mais ils doivent alors expliquer ce qui distingue les restrictions juridiques exigées de simples mesures de censure venant sanctionner l’expression d’opinions jugées moralement répréhensibles. Si le dilemme ne se laisse pas résoudre par le seul rappel des principes philosophiques classiquement invoqués en matière de libre expression (principe de non-nuisance, principe de tolérance desintolérants), c’est parce que la nature du "discours de haine" et du tort qu’il cause reste incertaine. Ce terme, qui s’est imposé dans les débats internationaux récents en philosophie du droit, renvoie en réalité à une multiplicité de dispositifs juridiques visant des catégories d’actes variées ; leur unité éventuelle reste à établir. Je proposerai dans cette intervention une définition opératoire des "discours de haine", à partir de l’examen comparé des dispositions juridiques nationales et internationales en la matière. La clarification de ce concept conduit à critiquer les justifications les plus fréquemment avancées en faveur de l’interdiction de ces discours, qu’elles reposent sur la prévention des "crimes de haine", la protection de l’ordre public ou encore le respect de la dignité humaine. Elle amène cependant à considérer une autre justification possible, fondée sur l’exigence de voir le droit à liberté d’expression revêtir une valeur équitable pour tous. Ce fondement alternatif incite à rejeter les approches 'absolutistes" de la liberté d’expression, qui entendent tirer d’une caractérisation générale de ce droit une solution uniforme valable dans tous les contextes, que ce soit pour exclure toutes restrictions juridiques ou au contraire pour en justifier certaines en toutes circonstances. La liberté d’expression ne saurait être conçue comme un droit absolu dont l'extension pourrait être définie – de façon plus ou moins généreuse – une fois pour toutes."
2016
Conférence donnée par Charles Girard dans le cadre des Lundis de la philosophie.
"Les "discours de haine" devraient-ils être punis par le droit ? Les propos racistes, homophobes ou encore sexistes fréquemment regroupés sous ce terme créent un dilemme redoutable pour les régimes qui sont attachés à la fois au droit individuel à la libre expression et à l’égalité de statut des citoyens. Les tenants de la position permissive affirment que les protections juridiques associées à la liberté d’expression doivent être étendues à ces discours, car ce principe ne saurait tolérer aucune exception en démocratie. Mais ils doivent alors expliquer ce qui sépare ces discours de nombreux autres qui se trouvent punis par le droit, tels les injures ou les propos diffamatoires. Les tenants de la position prohibitionniste affirment quant à eux que l’État ne saurait réellement prétendre accorder une protection égale à tous les citoyens s’il laisse prospérer dans la sphère publique des discours incitant à l’hostilité ou à la discrimination envers certains d’entre eux en raison de l’identité raciale, sexuelle ou religieuse qui leur est assignée. Mais ils doivent alors expliquer ce qui distingue les restrictions juridiques exigées de simples mesures de censure venant sanctionner l’expression d’opinions jugées moralement répréhensibles. Si le dilemme ne se laisse pas résoudre par le seul rappel des principes philosophiques classiquement invoqués en matière de libre expression (principe de non-nuisance, principe de tolérance desintolérants), c’est parce que la nature du "discours de haine" et du tort qu’il cause reste incertaine. Ce terme, qui s’est imposé dans les débats internationaux récents en philosophie du droit, renvoie en réalité à une multiplicité de dispositifs juridiques visant des catégories d’actes variées ; leur unité éventuelle reste à établir. Je proposerai dans cette intervention une définition opératoire des "discours de haine", à partir de l’examen comparé des dispositions juridiques nationales et internationales en la matière. La clarification de ce concept conduit à critiquer les justifications les plus fréquemment avancées en faveur de l’interdiction de ces discours, qu’elles reposent sur la prévention des "crimes de haine", la protection de l’ordre public ou encore le respect de la dignité humaine. Elle amène cependant à considérer une autre justification possible, fondée sur l’exigence de voir le droit à liberté d’expression revêtir une valeur équitable pour tous. Ce fondement alternatif incite à rejeter les approches 'absolutistes" de la liberté d’expression, qui entendent tirer d’une caractérisation générale de ce droit une solution uniforme valable dans tous les contextes, que ce soit pour exclure toutes restrictions juridiques ou au contraire pour en justifier certaines en toutes circonstances. La liberté d’expression ne saurait être conçue comme un droit absolu dont l'extension pourrait être définie – de façon plus ou moins généreuse – une fois pour toutes."
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