lunes, 19 de marzo de 2012

Prière

Me ha venido a la cabeza, hoy una vez más, este texto de Codicille, de Gérard Genette.

Prière. "Devant les foules qu'il voyait de son temps se presser dans les églises, Joseph de Maistre (nous dit Paul Veyne) demandait: 'combien y en a-t-il qui prient réellement?'" J'ai passé une partie de mon enfance à me demander moi-même si je priais comme il fallait, c'est-à-dire comme le souhaitait ma mère. Je fermais les yeux, comme je la voyais faire et pour mieux me concentrer sur ma supposée foi intérieure, pues je m'abîmais dans une interrogation sans issue quant à la nature de cette foi, et plus encore de l'action par laquelle j'étais censé l'exprimer. Le seul motif auquel j'aurais pu accrocher cette action consistait en un vœu dot elle pourrait garantir le succés—par exemple, une bonne note en calcul, indubitablement miraculeuse—, mais on me disait toujours que la prière n'est pas essentiellement une supplication, mais un acte de pure ferveur, et qu'on doit pouvoir prier Dieu sans rien attendre de Lui, mais au contraire pour s'offrir à Lui. Après un délai convenable, un peu plus déçu chaque fois, je mettais fin à l'exercise spirituel en prononçant un Amen expéditif et libérateur, et en me demandant  s'il y en avait beaucoup, moi compris, "qui priaient réellement". Mais le plus souvent je me réfugiais dans la sécurité du Notre Père, dont les paroles obligées, prononcées in petto et avec le tutoiement alors propre aux confessions protestantes, me  dispensaient du moindre effort de pensée dans ce qu'on appelait incompréhensiblement mon for intérieur. "Je me demande, dit Emmanuel Berl, ce que je fais, quand je dis que je prie." La suite de mon évolution me débarrassa de cette question sans y répondre. La recette de Pascal (la foi survenant par surcroît à force de posture mimétique : faites comme les autres, "cela vous fera croire et vous abêtira"—autrement dit : c'est en pratiquant qu'on devient croyant) n'avait pas tenu sa promesse. À quelque temps de là me vint une nouvelle croyance d'un autre ordre, je veux dire en fait une nouvelle pratique, dont je ne crois pas qu'elle ait été plus assurée de son fondement de certitude : là encore, il s'agissait de faire comme si, en attendant une confirmation qui ne vint jamais, ou plutôt qui s'éloigna peu à peu avant de disparaître à son tour, définitivement et à menu fracas. Mais l'expérience de cette rechute m'enseigna au moins, après réflexion, que l'aptitude à s'engager sans réelle conviction intime, et d'autant plus vivement que lui manque la conviction, est récurrente et multiforme. "On s'engage et puis l'on voit", disait Napoléon ; on s'engage plutôt pour voir, comme au poker, et puis souvent il n'y a rien à voir. Je paraphrase (je condense) Pascal: s'il ne fallait rien faire que pour le certain, on ne devrait rien faire du tout, car rien n'est certain, que le naïf désir de certitudes, successives et parfois contradictoires.


 
 
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