Esta mañana, nadando un buen rato entre la bruma, en un mar plano y casi blanco, como flotando fuera de la realidad. Iba dándole vueltas a la cabeza de cómo felicitar a mi ex su sesenta cumpleaños—en el que me alcanza este verano, cerrando el círculo desde el 61 hasta los 61— pensando cómo, procurando no molestar y a la vez sin frivolizar ni comunicar indiferencia ante una separación, la nuestra, que cada día se reafirma como más inflexible y definitiva, al llegar a esta edad que nunca pensamos que tendríamos, instalados para siempre en un más allá de lo que fue nuestra vida juntos, con el tiempo a la vez parado para siempre y sin embargo transcurriendo aún... Me he acordado mientras nadaba en ese mar casi invernal de este episodio de La Possibilité d'une île, de Michel Houellebecq, en el que el protagonista Daniel visita una instalación artística vanguardista creada por Vincent, el líder de la secta de posthumanos que sustituirá a la humanidad, y la recordará desde una especie de civilización terminal vacía, estática y postmortem:
(...)
Conscient que les choses tourneraient bien, qu'il s'était entouré des meilleurs collaboraeurs possibles, Vicent s'était de plus en plus exclusivement consacré, au cours des dernières semaines, à son grand projet, et c'est avec surprise que j'avais vu sse manifester à nouveau sa timidité, son malaise, la manière incertaine et maladroite de s'exprimer qu'il avait lors de nos premières rencontres. Il hésita longuement, ce matin-là, avant de me laisser découvrir l'œuvre de sa vie. Nous prîmes un café, pus un second, au distributeur automatique. Tournant le gobelet vide entre ses doigts, il me dit finalement: "Je crois que ce sera mon dernier travail..." avant de baisser les yeux. "Susan est d'accord... ajouta-t-il. Lorsque le moment sera venu... enfin, le moment de quitter ce monde, et d'entrer dans l'attente de la prochaine incarnation, nous entrerons ensemble dans cette salle: nous nous rendrons en son centre où nous prendrons ensemble le mélange létal. D'autres salles seront construites sur le même modèle, afin que tous les adeptes puissent y avoir accès. Il m'a semblé... il m'a semblé qu'il était utile de formaliser ce moment." Il se tut, me regarda droit dans les yeux. "Ça a été un travail difficile... dit-il. J'ai beaucoup pensé à La Mort des pauvres, de Baudelair: ça m'a énormément aidé."
Les vers sublimes me revinrent immédiatement en mémoire, comme s'ils avaient toujours été présents dans un recoin de mon esprit, comme si ma vie entière n'avait été que leur commentaire plus ou moins explicite:
C'est la mort qui console, hélas! et qui fait vivre;
C'est le but de la vie, et c'est le seul espoir
Qui, comme un élixir, nous monte et nous enivre,
Et nous donne le cœur de marcher jusqu'au bout.
À travers la tempête, et la neige, et le givre,
C'est la clarté vibrante à notre horizon noir;
C'est l'auberge fameuse inscrite sur le livre,
Où l'on pourra manger, et dormir, et s'asseoir.
Je hochai la tète; que pouvais-je faire d'autre? Puis je m'engageai dans le couloir en direction du hangar. Dès que j'eus ouvert la porte hermétique, blindée, qui menait à l'intérieur, je fus ébloui par une lumière aveuglante, et pendant trente secondes, je ne distinguai rien; la porte se referma derrière moi avec un bruit mat.
Progressivement mon regard s'accoutuma, je reconnus des formes et des contours; cela ressemblait un peu à la simulation informatique que j'avais vue à Lanzarote, mais la luminosité de l'ensemble était encore accrue, il avait vraiment travaillé dans le blanc sur blanc, et il n'y avait plus du tout de musique, juste quelques frémissements légers, comme des vibrations atmosphériques incertaines. J'avais l'impression de me mouvoir à l'intérieur d'un espace laiteux, isotrope, qui se condensait parfois, subitement, en microformations grenues—en m'approchant je distingais des montagnes, des vallées, des paysages entiers qui se complexifiaient rapidement puis disparaissaient presque aussitôt, et le décor replongeait dans une homogénéité floue, traversée de potentialités oscillantes. Étrangement je nevoyais plus mes mains, ni aucune autre partie de mon corps. Je perdis très vite toute notion de direction, et j'eus alors l'impression d'entendre des pas qui faisaient écho aux miens: lorsque je m'arrêtais ces pas s'arrêtaient eux ausssi, mais avec un léger temps de retard. Tournant mon regard vers la droite j'aperçus une silhouette qui répétait chacun de mes mouvements, qui ne se distinguait de la blancheur éblouissante de l'atmosphère que par un blanc légèrement plus mat. J'en ressentis une legère inquiétude: la silhouette disparut aussitôt. Mon inquiétude se dissipa: la silhouette se matérialisa à nouveau, comme surgie du néant. Peu à peu je m'habituiai à sa présence, et continuai mon exploration; il me paraissait de plus en plus évident que Vincent avait utilisé des structures fractales, je reconnaissais des tamis de Sierpinski, des ensembles de Mandelbrot, et l'installation elle-même semblait évoluer à mesure que j'en prenais conscience. Au moment où j'avais l'impression que l'espace autour de moi se fragmentait en ensembles triadiques de Cantor la silhouette disparut, et le silence devint total. Je n'entendais même plus ma propre respiration, et je compris alors que j'étais devenu l'espace; j'étais l'univers et j'étais l'éxistence phénoménale, les microstructures étincelantes qui apparaissaient, se figeaient, puis se dissolvaient dans l'espace faisaient partie de moi-même, et je sentais miennes, se produisant à l'intérieur de mon corps, chacune de leurs apparitions comme chacune de leurs cessations. Je fus alors saisi par un intense désir de disparaître, de me fondre dans un néant lumineux, actif, vibrant de potentialités perpeétuelles; la luminosité redevint aveuglante, l'espace autour de moi sembla exploser et se diffracter en parcelles de lumière, mais il ne s'agissait pas d'un espace au sens habituel du terme, il comportait des dimensions multiples et toute autre perception avait disparu—cet espace ne contenait, au sens habituel du terme, rien. Je demeurai ainsi, parmi les potentialités sans forme, au-delà même de la forme et de l'absence de forme, pendant un temps que je ne parvins pas à définir; puis quelque chose apparut en moi, au début presque imperceptible, comme le souvenir ou le rêve d'une sensation de pesanteur; je repris alors conscience de ma respiration, et des trois dimensions de l'espace, qui se fit peu à peu immobile; des objets apparurent de nouveau autour de moi, comme de discrètes émanations du blanc, et je parvins à sortir de la pièce.
Il était en effet probablement impossible, dis-je à Vincent un peus plus tard, de demeurer vivant dans un tel endroit pendant plus d'une dizaine de minutes. "J'appelle cet endroit l'amour, dit-il. L'homme n'a jamais pu aimer, jamais ailleurs que dans l'immortalité; c'est sans doute pourquoi les femmes étaient plus proches de l'amour, lorsqu'elles avaient pour mission de donner la vie. Nous avons retrouvé l'immortalité, et la coprésence au monde; le monde n'a plus le pouvoir de nous détruire, c'est nous au contraire qui avons le pouvoir de le créer par la puissance de notre regard. Si nous demeurons dans l'innocence, et dans l'approbation du seul regard, nous demeurons également dans l'amour".
Ayant pris congé de Vincent, une fois remonté dans le taxi, je me calmai peu à peu; mon état d'esprit lors de la traversée de la banlieue parisienne restait cependant assez chaotique, et ce n'est qu'après la porte d'Italie que je retrouvai la force d'ironiser, et de me répéter mentalement: "Serait-ce donc possible! Cet immense artiste, ce créateur de valeurs, il ne l'a pas encore appris, que l'amour est mort!" Je ressentis aussitôt une certaine tristesse à constater que je n'avais toujours pas renoncé à être ce que j'avais été, tout au long de ma carrière: une espece de Zarathoustra des classes moyennes.
(...)
Este espacio virtual en el que se sumerge Daniel no deja de recordar a otro (además de a mi mar neblinoso)—otro espacio que aparece al final de La Possibilité d'une Île. El descendiente posthumano clonado a partir de Daniel, Daniel25, abandona la fría y solitaria civilización-burbuja de su especie para salir al escenario postapocalíptico de la Tierra tras las grandes destrucciones, y anda cientos de kilómetros por España hasta llegar a la orilla de una playa terminal, casi infinita y mezclada con el mar, donde piensa pasar el resto de sus días, y donde terminan así con la novela, sus reflexiones sobre el sentido de su vida, el deseo y la paz de espíritu:
J'avais atteint le terme de mon voyage.
Ce paysage ne ressemblait guère, à vrai dire, à l'océan tel que l'homme avait pu le connaître; c'était un chapelet de mares et d'étangs à l'eau presque immobile, séparés par des bancs de sable; tout était baigné d'une lumière opaline, égale. Je n'avais pas la force de courir, et c'est d'un pas chancelant que je me dirigeai vers la source de la vie. (...)
Il me restait peut-être soixante ans à vivre; plus de vingt mille journées qui seraient identiques. J'éviterais la pensée comme j'éviterais la souffrance. Les écueils de la vie étaient loin derrière moi; j'étais maintenant entré dans un espace paisible dont seul m'écarterait le processus létal.
Je me baignais longtemps, sous le soleil comme sous la lumière des étoiles, et je ne ressentais rien d'autre qu'une légère sensation obscure et nutritive. Le bonheur n'était pas un horizon possible. Le monde avait trahi. Mon corps m'appartenait pour un bref laps de temps; je n'atteindrais jamais l'objectif assigné. Le futur était vide; il était la montagne. Mes rêves étaient peuplés de présences émotives. J'étais, je n'étais plus. La vie était réelle.
—oOo—